Retour d’expérience – Festival des Rendez-vous de l’histoire de Blois 2023
À l’occasion des Rendez-vous de l’histoire portant sur « les vivants et les morts », le collectif PEER a organisé la table ronde : « Que faire de ces malemorts ? Gestion des marges et représentations des “mauvais morts” ». Elle a eu lieu le vendredi 6 octobre 2023, de 14h00 à 15h30, dans l’amphi 2 du site de la Chocolaterie de l’IUT de Blois.
Cette table ronde portait sur les usages funéraires et les représentations des morts marginaux du Moyen Âge à l’époque contemporaine, à travers l’étude de cas européens et extrême-orientaux. A travers une approche pluridisciplinaire allant de l’histoire à la recherche en danse, cette présentation visait à mettre en lumière les diverses formes de prise en charge religieuse et politique des individus marginaux décédés, ainsi que les représentations qui en résultent.
De quelle manière et sur quelles idéologies les institutions prennent en charge les morts marginaux ? De quels types de lieux de sépulture peuvent bénéficier ces morts ? Comment sont-ils représentés dans les discours et dans les pratiques ?
Trois membres du collectif PEER ont présenté des éléments de leurs recherches : Edouard L’Hérisson, Alessandro Campeggiani et Alexis Darchis. Nous aimerions également remercier les autres participants de ce projet : Aude Lazzaro et Luc Daireaux pour la modération.
Alessandro Campeggiani (doctorant en Arts du Spectacle – Danse) a analysé le binôme danse-mort circulant dans le système culturel occidental de la fin du Moyen Âge. Dans un premier temps, il a abordé la première représentation iconographique de la danse macabre, la fresque du cimetière des saints Innocents de Paris. Puis, il s’est penché sur la stigmatisation des danseurs à travers des récits (exempla) de prêcheurs du XIIIe siècle, comme Thomas de Cantimpré et Étienne de Bourbon. Dans la prédication, les clercs illustrent la nature mauvaise des danses par les malheurs qu’elle provoque (comme une mort soudaine et mauvaise) ou en l’excluant des espaces sacrés (comme le cimetière, l’église ou dans certains cas le Paradis).
Alexis Darchis (agrégé d’histoire-géographie, docteur en histoire contemporaine) a mis en évidence la pratique du refus de sépulture par l’Eglise catholique en France au XIXe siècle. L’Eglise catholique, en vertu du droit canon, refuse la sépulture catholique à certaines catégories de “réprouvés” comme les suicidés, les duellistes ou les individus morts sans les derniers sacrements. Mais, après la Révolution française et la sécularisation du droit (décret du 23 prairial an XII), ces refus sont mal acceptés par les autorités administratives qui redoutent des troubles et encouragent les prêtres à limiter cette pratique dénoncée par les familles. Ces dernières, blessées par le refus de sépulture, réclament une réparation symbolique comme l’organisation d’une cérémonie dans l’église ou le dépôt du cercueil dans la partie consacrée du cimetière.
Édouard Hérisson (docteur en études japonaises, maître de conférences à l’INALCO) a évoqué la prise en charge des restes des soldats japonais tués lors de la guerre contre l’empire russe en 1904-1905. Le conflit russo-japonais, s’achevant par la victoire du Japon, constitue un tournant dans l’affirmation de l’impérialisme japonais comme une puissance mondiale. Le culte des soldats tombés au champ d’honneur, érigés en héros de la nation, devient à ce moment l’un des piliers de l’idéologie impériale. Les ossuaires érigés en Mandchourie en leur mémoire deviennent ainsi de véritables lieux de pèlerinage pour les familles endeuillées, mais aussi des relais du pouvoir impérial marquant l’appropriation du territoire mandchou par l’empire. Les ossuaires répondent cependant aussi à un besoin religieux : en effet, dans les cultes japonais, les victimes de malemort sont de potentiels esprits vengeurs qu’il est de fait nécessaire d’apaiser par les cultes. Enjeux impériaux et enjeux religieux convergent dès lors dans ce culte des soldats tombés sur le champ de bataille.
Cette table ronde a été enregistrée et il est possible de la regarder sur Youtube et sur la page officielle des Rendez-vous de l’histoire .
OpenEdition vous propose de citer ce billet de la manière suivante :
Alessandro Campeggiani (5 juillet 2024). Retour d’expérience – Festival des Rendez-vous de l’histoire de Blois 2023. Collectif PEER. Consulté le 9 juillet 2025 à l’adresse https://doi.org/10.58079/11ybe